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Un pas, deux pas.

 

​Un grand saut, un bond en avant, serait-on tenté de compléter. Un abandon aussi. Aujourd'hui, tout est limpide chez ce créateur à multiples facettes, venu tardivement à la chanson après un long détour par la régie. Une percée à rebours, dopée par l'énergie carnivore du jeune homme et la profondeur sereine de l'homme mûr.

Comme si le vrai Olivier Eyt était à point, fruit d'une trajectoire à l'épanouissement sensible.

Et cet album (r)affiné, qui n'a rien d'anodin, exsude un humble sentiment d'accord et de plénitude. Grand ouvert, décorseté, jamais aseptisé ou formaté.  Élégant dans le choix des mots et l'exposé des idées. Il surgit seize ans après un premier geste, Adhésive, aux contours jazzy prononcés et inscrit dans le sillage d'un Nougaro qu'il a longtemps érigé en maître scénique. Puis l'homme est reparti se muscler, trimballant dans ses bagages le spectacle en piano-voix Balade à travers chants, revisite passionné et passionnel d'un siècle de chanson française (Vian, Trenet, Souchon, Gainsbourg, Higelin...). Des dates, beaucoup. Un art d'être discrètement partout, de se forger sur le tas. De la proximité, du partage avec le public. Interprète agile et joueur, pianiste fin et sobre. Toujours chez lui, cette soif d'apprentissage. Il écume successivement les ateliers d'écriture. Ceux de Claude Lemesle, Ignatus et Xavier Lacouture, soit respectivement la méthode à l'ancienne, la fantaisie poétique et la provocation de l'imaginaire. Olivier Eyt joint alors ces différents pôles d'approche pour manipuler la matière et imposer ses propres élans. Une soupape libératrice qui va lui offrir un grande élasticité et le conduire à totalement assumer au grand  jour le rôle de l'auteur-compositeur-interprète.

Il pose de nouvelles fondations avec l'EP Tout seul tout nu en 2016, impulse pendant quatre ans un solo en scène où son chant de confidence rassure autant qu'il émeut. Et bénéficie du soutien infaillible et des conseils avisés d'Ignatus (pour lequel il assurera sa première partie au Café de la danse en compagnie de Marie Daguerre).

Un pas, deux pas, donc.

 

Qui tranche par l'aplomb des arrangements, le lyrisme aux effets discrets. Ou la tonalité vagabonde de la voix, oscillant entre les inflexions du parlé-chanté. Ce disque-là est dépourvu des clichés et des schémas classiques de la chanson, ne semblant obéir qu'à des instincts. Léger et dense à la fois. Intimiste et souple, qui passe de petits espaces aux immensités infinies en arabesques. Disque d'ouverture, soudé par le collectif, habillé par un quatuor à cordes, et dans lequel la basse voltigeuse (et virtuose) de François Puyalto se confond avec la guitare en dentelles de Thibaud Defever, la clarinette sensuelle de Michel Shick converse avec la batterie minimaliste de Frédéric Chapperon. Il y a surtout là, la rencontre plus que probante avec le délicat Bastien Lucas, aux arrangements et à la réalisation. Entre Olivier Eyt et lui, une confluence d'esprit et de ton, associant l'écriture pointilleuse de l'un et le savoir-faire pointilliste de l'autre pour donner corps à des chansons d'apparence classiques et pourtant constamment mouvantes. Elles s'offrent ainsi à qui souhaitent les interpréter, nécessitent un état d'écoute pour y déceler toutes les subtilités. La musique respire, se pare de micro-détails embusqués tandis qu'Olivier Eyt fait avancer ses mots comme de l'eau sur une pente. Il retourne fouiller dans son berceau, reconnecte en lui l'élan vital (Un pas, deux pas). S'inspire de Lignes de faille, roman vertigineux de Nancy Huston, pour livrer sa propre histoire familiale sur quatre générations (Pères). Envoie valser les blessures du passé (Démoli les démons). Il y aussi une langue mouchetée d'épines qui grattent avec une lucidité couperet (Vieux, Tous en boîte), des aveux de défaillance (Plus de cœur), la découverte de soi par le mouvement et le corps (Marcher). Ce disque sonne comme la sincère déclaration d'intention d'un homme qui n'aspire désormais qu'à jouir librement de lui-même. 

 

Patrice Demailly

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